Professeur à l'ENST et à l'Université de Nantes
Il est clair aujourd'hui que les approches fonctionnelles utilisées pour qualifier les besoins en télécommunications sont dominantes dans les entreprises. Elles sont bien intégrées aux formations et aux pratiques des ingénieurs et ont fait leurs preuves dans la mesure où les résultats des enquêtes de satisfaction sur les services de télécommunications utilisés en interne dans les entreprises ne sont pas franchement négatifs. Pour simplifier l'approche fonctionnelle considère l'aptitude des différents médias à répondre aux exigences d'une situation donnée et permet d'expliquer pourquoi telle panoplie de services de télécommunications est mieux adaptée aux besoins d'un individu qu'une autre (cf. Tableau).
==> Insérer tableau avec légende simplifiée
Source: Rowe, Struck, L'interaction télécommunications - structure des organisations in Sciences de Gestion, ndeg.21, mai 1995.
On voit dans ce tableau que la logique individuelle d'équipement repose déjà sur le degré de diffusion du médium dans une communauté d'utilisateurs. Lorsqu'on passe à une logique de gestion collective, il faut trouver suffisamment d'interlocuteurs naturels qui opèrent les mêmes choix d'équipement afin d'amortir les coûts fixes.
Dans le cas où la plupart des employés disposent de quasiment tous les grands types de médias pour communiquer l'entreprise peut supposer que les gens apprennent à optimiser le choix des moyens en fonction des coûts d'usage. Cette hypothèse paraît réaliste lorsque l'entreprise diffuse l'information sur les coûts et a une véritable politique de communication en la matière. Mais il arrive que l'entreprise soit en situation trés difficile et juge imprudent d'attendre les effets d'une bonne gestion des comportements qu'elle ne contrôle pas totalement. Elle peut avoir à arbitrer alors entre deux moyens techniques voisins, comme la messagerie électronique et la messagerie vocale. Face à ce type de choix, le tableau montre clairement que les différences fonctionnelles apparaissent bien minces entre ces deux médias. Il faut dans ce genre de situation prendre garde aux raisonnements fonctionnels simplistes du style : << le courrier éléctronique offre de plus une trace écrite donc il est supérieur >> ou encore << le courrier électronique est l'idéal complément du téléphone; la messagerie vocale c'est batârd >>. Ce type de choix, si tant est qu'on y soit acculé, devrait être argumenté par une analyse de la satisfaction des utilisateurs et par une analyse culturelle. L'intérêt du premire type d'analyse est évident et nous nous limiterons ici à développer l'intérêt d'une analyse culturelle lorsque les critères fonctionnels ne permettent pas de trancher nettement.
Il faut d'abord souligner que bien rares sont les entreprises qui peuvent se targuer de posséder une culture d'entreprise. En fait on trouve souvent autant de cultures que de métiers ou de Directions dans une organisation. Une culture est un ensemble d'hypothèses - développées par un groupe au fur et à mesure qu'il apprend à s'adapter à son environnement et à intégrer des membres en son sein - qui a assez bien marché pour être considéré comme valide et qui dès lors peut être transmis pour enseigner aux nouveaux membres comment se sentir et penser face à ces problèmes. La culture peut donc être approchée comme un ensemble de normes sociales. Mesurer les cultures n'est pas chose facile. Dans notre optique de montrer leurs liens potentiels avec les télécommunications quatre approches sont possibles:
- Analyser la satisfaction des utilisateurs par famille de métiers. On s'apercevra souvent que les contrôleurs de gestion apprécient le courrier éléctronique, véhicule d'un langage formaté et par nature secret, alors que les commerciaux ont en général une culture plutôt orale et préfèrent la messagerie vocale;
- Analyser la perception par les utilisateur de l'influence d'une influence managériale en matière d'uasge des télécommunications pour voir précisèment si elle est perçue comme une norme culturelle. Par exemple si l'entreprise a communiqué sur l'idée que l'usage efficient des télécoms passe par l'usage du courrier électronique ou de la messagerie vocale, on doit vérifier qu'à la question << quel moyen utilisez-vous lorsque votre principal critère est un usage efficient? >>, la réponse est bien celle attendue;
- On peut ensuite croiser ces deux premières approches en analysant les réponses obtenues dans la seconde approche par grandes familles de métiers. On s'apercevra alors que les commerciaux ont moins intégré cette norme que la moyenne des employés;
- Enfin, on peut recourir à l'analyse psycho-sociologique de la culture que nous avons adaptée au problème du choix des outils de télécommunications. On admet alors que la culture comprend plusieurs dimensions:
1. L'orientation des individus à court ou long terme,
2. Le degré d'aversion pour le risque ou son contraire l'esprit d'entreprise,
3. L'orientation au changement ou au contraire la recherche de la stabilité,
4. Le degré d'ouverture sur la collectivité,
5. L'orientation plutôt relationnelle ou plutôt productiviste,
6. Le degré d'appréciation de la flexibilité de l'organisation
7. Le rapport plus ou moins distant à la hiérarchie.
Les résultats obtenus dans nos recherches montrent effectivement des correlations significatives entre les dimensions culturelles que l'on vient de citer et les choix d'utilisation de tel ou tel service de télécommunication.En particulier, dans une entreprise s'étant posé le problème de l'arbitrage entre les deux types de messagerie, on s'est aperçu que la messagerie électronique était nettement liée à l'orientation des gens vers le court terme, tandis que le courrier électronique était lui positivement lié à une orientation productiviste. De plus, les liens significatifs entre l'usage du téléphone et les dimensions culturelles décrivant la réactvité, l'aversion au risque et l'orientation vers le changement s'opposaient justement aux liens entre l'usage de la messagerie vocale et ces mêmes dimensions culturelles. On pouvait en déduire que culturellement le complément du téléphone était, dans le cas de cette entreprise, plus la messagerie vocale que la messagerie électronique.Le choix entre les deux types de messagerie n'est donc pas ici le même selon que l'on conserve l'approche fonctionnelle dominante ou selon que l'on retient une approche culturelle.
En conclusion, les outils de télécommunications sont des moyens essentiels de différenciation et d'intégration sociale dans l'entreprise. Les traiter , même en temps de crise, comme de simples moyens techniques qu'on peut éliminer facilement est trés dangereux. Car c'est bien de culture qu'il s'agit!